Les 174 premiers regards étaient accidentels : prendre la vie privée des clients au sérieux

Les contrats d’inscription incluent généralement un énoncé comme :

Le propriétaire vendeur consent à la collecte, l’utilisation et la communication des renseignements personnels qui le concernent par le bureau de courtage aux fins de l’inscription et de la vente de la propriété…

Du bla-bla juridique, me direz-vous, mais vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on a inséré l’énoncé? En trois mots : la vie privée. Les clients fournissent aux agents inscripteurs une montagne de renseignements personnels (p. ex. leur nom, leurs coordonnées et même des détails sur la transaction comme le nombre d’appareils ménagers); tout cela, de la collecte des renseignements à leur destruction éventuelle, en passant par leur utilisation pour la vente, est régi par les lois sur la protection des renseignements personnels. Cet énoncé (habituellement accompagné de détails supplémentaires) constitue une preuve importante du consentement du client à la collecte des renseignements personnels et à la mise en branle de la transaction.

À titre de courtier ou agent immobilier, vous savez à quel point la protection des renseignements personnels est cruciale pour vos clients. En fait, compte tenu des dernières tendances en matière de jurisprudence, son importance est susceptible d’augmenter au fil du temps.

Tout d’abord, le bris de la confidentialité des renseignements personnels (ou l’atteinte à la vie privée) d’un propriétaire-vendeur pourrait occasionner une plainte menant à une enquête de la commissaire fédérale à la protection de la vie privée ou de ses homologues provinciaux.

Il est aussi possible, et peut-être plus grave, qu’un client engage une poursuite en justice. Le cas récent de Jones contre Tsige est significatif à cet égard. Madame Jones et madame Tsige travaillaient à deux succursales distinctes de la même banque. L’affaire s’est compliquée lorsque madame Tsige est entrée en relation amoureuse avec l’ex-mari de madame Jones. Sans avoir obtenu le consentement de madame Jones, madame Tsige a regardé les comptes bancaires personnels de madame Jones au moins 174 fois au cours des quatre années qui ont suivi. Il n’est pas surprenant d’apprendre que madame Jones n’était pas très contente lorsqu’elle en a pris connaissance. En fin de compte, la Cour d’appel de l’Ontario lui a alloué 10 000 $ pour atteinte à la vie privée.

L’affaire Jones contre Tsige est intéressante puisqu’il s’agit de la première fois que les tribunaux reconnaissent clairement un droit en common law de poursuivre en justice pour atteinte à la vie privée (les droits de poursuivre pour atteinte à la vie privée prévus par la loi existaient depuis un certain temps dans un petit nombre de provinces). De plus, madame Jones a réussi à gagner malgré le fait que madame Tsige n’a aucunement publié, consigné ou distribué ses renseignements personnels à qui que ce soit. Elle les a simplement regardés sans raison légitime.

Bien qu’il soit vrai que Jones contre Tsige ne concernait aucun agent ou courtier immobilier, on peut tout de même en tirer quelques leçons utiles :

  1. Utilisez les renseignements personnels en respectant les modalités convenues dans le consentement reçu (dans un contrat d’inscription ou ailleurs).
  2. N’oubliez pas le test du sourcillement : si vous ne pouvez pas expliquer au client comment vous avez utilisé ses renseignements personnels sans sourciller, il est probable que vous vous soyez aventuré sur un terrain glissant.
  3. La curiosité brûle le curieux et ses poches : les tribunaux sont peut-être plus aptes que jamais à indemniser les gens – les clients – pour atteinte à la vie privée.

Ce n’est que la pointe de l’iceberg de la protection des renseignements personnels. Pour obtenir de plus amples renseignements sur la manière dont le sujet touche votre profession, consultez la Trousse d’outils au Lien IMMOBILIERMC.

L’article ci-dessus est publié à titre d’information; il ne constitue nullement des conseils juridiques et ne saurait remplacer un conseiller juridique.

Simon Parham est avocat général et secrétaire général de L’Association canadienne de l’immobilier (ACI). Il possède une expertise dans diverses lois et questions fédérales, notamment la lutte contre le blanchiment d’argent et le droit relatif à la protection de la vie privée. Avant de se joindre l’ACI, il a travaillé en tant qu’avocat-conseil pour le ministère de la Justice, où il a fourni des conseils juridiques au ministère de la Défense nationale.


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